Pour l’imprescriptibilité des viols sur mineurs et la fin de la présomption d’innocence. Par Hélène Romano
Pour l’imprescriptibilité des viols sur mineurs et la fin de la présomption d’innocence
Sarah Abitbol aujourd’hui, hier Vanessa Spingora ou Flavie Flament et toutes ces victimes de viols dans l’enfance, se voient opposer la prescription des faits qu’elles ont subis, et qu’elles parviennent à révéler une fois devenues adultes.
Comment notre société française de 2020 peut-elle ne pas comprendre qu’avoir été violé enfant détruit psychiquement définitivement ? Son rapport au corps, à la sexualité, ses relations aux autres comme vis-à-vis de lui-même, sa scolarité, sa vie sociale, toute son humanité sont anéantis. Certains s’en sortent, car ils ont la chance de faire de bonnes rencontres, d’avoir de bons suivis, mais combien tombent dans des pratiques dangereuses, des conduites addictives ? Combien se suicident ? Combien se perdent dans des troubles alimentaires ou des conduites sexuelles à risques ? Combien terminent dans des services de psychiatrie avec des diagnostics de toutes sortes (psychotiques, bipolaires, mythomanes, hystériques, etc.) ; diagnostics qui rassurent les médecins, mais qui servent avant tout à dénier la gravité des conséquences psychotraumatiques du vécu des victimes. Combien ? Impossible de le savoir, car aucune étude n’est réalisée sur ce sujet.
Les pédophiles ont toujours existé, dans tous les milieux et cette déviance existera sans doute toujours, mais si le gouvernement veut, réellement, « tout faire pour que ça cesse », il y aurait des décisions simples à prendre dont deux fondamentales : rendre imprescriptible tout viol sur mineur qui est un crime contre l’humanité et en finir avec le principe de présomption d’innocence qui veut que ce soit à la victime de prouver ce qu’elle a subi. Or comment prouver un viol surtout des années après ? C’est impossible même quand les faits ne sont pas encore prescrits. Sans trace, sans aveux, la victime voit sa plainte classée et il ne faut pas être surpris que si peu de victimes déposent plainte, et qu’autant de plaintes soient classées sans suite.
Il y a trente ans, surveillante à l’INSEP j’ai alerté le responsable de mon service sur ce dont j’étais témoin comme tant d’autres : des athlètes utilisant leur notoriété pour flirter avec des mineurs, des jeunes sportifs terrorisés le soir et demandant qu’on les raccompagne dans leur chambre par peur d’être agressés, des mineur(e)s se plaignant « d’être embêté(e)s » par des adultes (encadrement comme autres sportifs), des stagiaires refusant d’être dans tel bâtiment où se trouvaient des sportifs défavorablement connus, des préservatifs régulièrement retrouvés dans le parc ou les couloirs, les prostituées du bois de Vincennes (trottoir d’en face de l’INSEP situé dans ce bois) qui allaient et venaient et dont certaines étaient récupérées dans des états impossibles, etc. J’ai même écrit un rapport, déchiré devant moi et transformé en confettis par le directeur du service d’accueil, m’expliquant qu’il n’allait pas « briser la carrière de grands champions », « que les sportifs de haut niveau avaient bien le droit de décompresser » ; « que telle ou telle compétition se profilait et qu’il ne fallait pas perturber la préparation ». Pour avoir donné l’alerte, mon contrat n’a pas été renouvelé. Les autres se sont tus. Tout comme bien des sportifs, dont d’anciens ministres des sports qui étaient à cette époque internes à l’INSEP. Tout le monde se tait, préfère ne pas voir, prétend ne pas savoir. L’INSEP est comme la vie, un espace où des personnes formidables exercent leur passion avec le partage de valeurs tel que le respect, la valorisation de l’autre, la solidarité. Mais comme dans tout autre lieu (familles, établissements scolaires, foyers de l’aide sociale à l’enfance, milieux artistiques, monde du travail, etc.) il y a des personnes qui méprisent la loi et qui détruisent des vies en toute impunité, car ils se savent intouchables.
Trente ans plus tard, cela n’a pas changé : pour avoir de nouveau alerté sur des dysfonctionnements majeurs, preuves à l’appui, existant dans l’hôpital où je travaillais j’ai dû démissionner de la fonction publique sans AUCUN soutien des responsables, ministres et autres autorités parfaitement informés de la gravité des faits. Mais les mis en cause, eux, sont toujours en poste.
La parole se libère entend-on ? À quel prix ? Après combien d’années de souffrances ? Avec quelles représailles ? Si elle se libère, les rares qui osent parler sont bien en deçà de la réalité du nombre de victimes de ce fléau, car le système n’est pas conçu pour protéger les victimes. On entend régulièrement que telle ou telle victime n’avait qu’à parler au moment des faits, qu’elle ne devait pas attendre si longtemps. Alors qu’il est juste psychiquement impossible pour un enfant victime de parler : la honte, la culpabilité, la confusion des sens dans lequel l’abuseur le place, la terreur, la pression morale, l’emprise, l’amnésie traumatique, les états de dissociation pour survivre et qui conduisent à des attitudes en « faux-self » (comme si de rien n’était), le rejet et très souvent le lynchage si fréquent des parents censés protéger, sont autant d’explications pour comprendre le silence des enfants victimes. Ce n’est pas à eux de se protéger, mais aux adultes de le faire et ils doivent pour cela être mieux formés, mais surtout soutenus et non sanctionnés quand ils alertent sur des comportements déviants.
Tant que cette logique de notre système qui conduit à anéantir les lanceurs d’alerte se poursuivra, les dysfonctionnements perdureront et les enfants ne seront pas prêts d’être protégés. Ce système (omerta avec la non-protection des lanceurs d’alerte, prescriptibilité des viols sur mineurs, présomption d’innocence) participe à permettre aux pédophiles d’agir en toute impunité et fait de la France (les exemples récemment médiatisés en attestent) un pays où la culture de la pédophilie est une réalité (certains écrivains, photographes, etc. sont même récompensés pour cela).
Il est grand temps d’en finir avec le massacre de toutes ces vies d’enfant, mais il faut, au-delà des belles déclarations d’intention, une profonde réforme de notre système pénal, des formations des professionnels et donner enfin des moyens adaptés pour le soutien des victimes. Nous en sommes si loin…
– Hélène Romano – Dr en psychopathologie, psychothérapeute, HDR, Dr en droit pénal et sciences criminelles
Merci Madame pour cette analyse. Mes connaissances et savoirs de vie me conduisent à des conclusions similaires.
Depuis ma formation à la santé publique (M2 à L’EHESP) et ma découverte du plaidoyer en promotion de la santé, je suis convaincu qu’il est possible de faire bouger les lignes à condition que des lanceuses d’alertes comme vous et des associations de victimes oeuvrent ensemble pour atteindre des objectifs précis comme l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs couplé à l’instauration d’un seuil d’âge en deçà duquel toute relation sexuelle d’un adulte avec un mineur est considérée comme un crime.
Libérer la parole ne suffit pas. Si la honte change de camp tant mieux ! Maintenant l’heure est venue de mesures politiques visant à garantir des limites pour que les enfants puissent grandir dans les meilleures conditions qui soient. Sans oublier des mesures de santé publique et de justice pour permettre aux adultes violés dans leur enfance de pouvoir recouvrer la santé et emprunter un chemin de résilience pour cesser d’être des « survivant.e.s. ».
« Ne doutez jamais qu’un petit groupe de personnes réfléchies et déterminées puisse changer le monde. En fait, c’est toujours ainsi que le monde a changé. » Margaret Mead, anthropologue
Thierry Brulavoine
brulavoinethierry@orange.fr
@TBrulavoine
https://www.linkedin.com/in/brulavoine-thierry-7221aa3b/
Merci pour votre commentaire, nous le transmettons à Hélène Romano. Effectivement, les choses doivent changer et je suis persuadée également que ce sera grâce à des gens qui osent parler de la réalité que cela se fera.
Merci pour cet article!! (et aussi pour cette association) Il est si réconfortant de voir que tandis que nous sommes beaucoup à lutter pour survivre face à ces « blessures » du passé, il y a des gens comme vous qui vous battez contre des murs pour aider des survivantes comme moi à retrouver l’espoir d’un avenir, d’un monde meilleur. C’est un si grand réconfort des femmes comme vous avec tant de courage! Cette association qui offre la magie de ses chevaux pour nous reconstruire (et le site internet est magnifique, j’ai été émue en le découvrant), ce texte qui en appelle à la fin de la prescription et qui est rempli de courage. Ce soir j’ai retrouvé un peu d’espoir…
A très bientôt j’espère.
Merci pour le partage de cet article. En effet encore aujourd’hui c’est la loi du silence. Des petites victimes osent parler parfois, peuvent même être soutenues par le parent protecteur, y compris dans des violences intrafamiliales par exemple, mais les auteurs ne sont pas toujours poursuivis pour autant. Alors que dire à ces enfants ? que les adultes sont impuissants à les protéger et qu’ils doivent subir sans rien dire ? ou bien qu’il faut croire que les adultes sont protecteurs ? ou …. Alors qu’ils entendent qu’il faut parler, dire ce qu’ils ont vécu et qu’ils seront protégés : messages véhiculés dans les médias et que pour eux rien ne se passe….Et quid de ces enfants devenus adultes dans quelques années ? Comment se seront-ils construits ?
3000 % d’accord avec ce que vous écrivez.
La complicité, le silence des institutions quelles qu’elles soient. Cette attitude criminelle qui consiste à dire « n’écornons pas notre image » … pas grave si des vies sont détruites …
Et il y a aussi, en dehors des institutions, un frein énorme pour ne pas ouvrir les yeux sur l’ampleur des dégâts, la dimension ébouriffante de l’épidémie. Le coronavirus c’est une micro goutte de pipi de chat.
L’imprescriptibilité oui ! AVEC EFFET RETROACTIF sinon c’est du « foutage de gueule ».
Je rêve d’une action dans la rue de l’ensemble des assos pour demander 3 choses:
– l’imprescriptibilité avec effet rétroactif
– l’inscription d’un âge légal de non consentement
– la prise en charge à 100% des soins psy (et autres) – par les institutions responsables (l’église dans mon cas) ou par l’état